1Ah! puisqu'il me fallait consacrer aux enfants,
Je le vois aujourd'hui, mes veilles et mes chants,
Que n'ai-je écrit plutôt jadis pour leurs berceuses,
Ainsi qu'on m'en priait, quelques chansons joyeuses,
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Quelques refrains naïfs faits pour les endormir,
Lorsque dans leur couchette on les entend gémir!
Mieux eût valu redire une rime légère,
Que de venir ici verser, malheureux père,
Des pleurs sur le tombeau de l'enfant qui n'est plus,
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En poursuivant Pluton de mes cris superflus.
Si j'avais su choisir!… Le choix n'est plus possible,
Hélas!… Je dédaignai, dédain sot et risible,
Cette tâche trop basse… Aujourd'hui mon malheur
Malgré moi me condamne à chanter ma douleur!
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Qu'importent les honneurs réservés à ma Muse?
Ah! me dit le destin, ton fol orgueil refuse
Des chansons aux vivants, eh bien! chante les morts!
Épuise en les pleurant et ton âme et ton corps.
La fortune le veut, elle règne en maîtresse
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Et seule met en nous la joie ou la tristesse.
Loi pleine de rigueur! Des ombres de l'enfer
Reine inflexible, au cœur de roche, au cœur de fer!
Ma fille devait donc, sans bien savoir encore
Vivre ici-bas, mourir à peine à son aurore,
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Et, sans avoir joui des rayons du soleil,
Aller voir le pays de l'éternel sommeil!
Pourquoi donc parmi nous Dieu l'a-t-il fait paraître?
Pour qu'elle pût mourir, sans doute il la fit naître;
Et, loin de consoler quelque jour ses parents,
30Elle leur a laissé des chagrins déchirants.