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Mort impie! Ah! pourquoi forcer cruellement
Mes yeux à voir ma fille à son dernier moment?
Je te vis secouer ce fruit vert, ô cruelle,
Et déchirer nos cœurs d'une angoisse mortelle.
5Jamais sans m'accabler du poids de la douleur
Elle n'eût pu mourir, jamais sans que mon cœur
N'eût saigné, quel que fût ou le jour ou l'année
Que, me laissant tout seul, elle s'en fût allée.
Mais jamais, non jamais, en la voyant mourir,
10Plus qu'en ce jour de deuil, je n'aurais pu souffrir.
Et si Dieu l'eût permis, en vivant davantage,
Que de joie elle eût pu me donner en partage!
Et moi, durant ce temps, j'aurais fini mes jours
Peut-être, et de mes ans vu s'accomplir le cours,
15Sans avoir ressenti la plus grande torture
Qu'ait jamais éprouvée humaine créature.
Je comprends Niobé, qui voyant le bûcher
Consumer ses enfants, s'est changée en rocher.