Jan KochanowskiThrènesThrène XVItłum. Wacław Gasztowtt
1Je cède au mal, je cède à la nature.
Le corps brisé par ma longue torture,
Je ne puis plus ni chanter ni gémir
Mieux vaut mourir!
5Suis-je vivant ou quelque horrible songe.
S'élance-t-il de mon cerveau qu'il ronge,
Pour décevoir mon esprit et mon cœur
De son erreur?
Sottise humaine, orgueilleuse folie!
10Dans ses pensers comme l'homme s'oublie
Quand rien ne vient rabattre son orgueil,
Malheur ni deuil.
La pauvreté nous plaît dans la richesse.
Dans le plaisir nous bravons la tristesse;
15Chacun de nous, tant qu'il est jeune et fort,
Rit de la mort.
Mais quand survient le deuil ou la misère,
Parler est un, vivre est une autre affaire;
Et quand la mort frappe notre regard,
20Il est trop tard.
Ô Cicéron, pourquoi lorsqu'on t'exile
Verser des pleurs? que t'importe une ville?
Notre patrie est le monde, as-tu dit,
Sublime esprit!
25Ta fille est morte; et pourquoi donc te plaindre.
Le déshonneur n'est-il plus seul à craindre?
Ne faut-il plus accepter le malheur
La joie au cœur?
La mort, dis-tu, ne fait peur qu'à l'impie.
30Et pourquoi donc défendis-tu ta vie,
Quand on voulut pour un mordant discours
Trancher tes jours?
Console-toi, puisque tu nous consoles.
Tu ne fus donc sage aussi qu'en paroles,
35
Parleur divin? Tu souffres, je le voix,
Autant que moi.
L'homme est de chair: seule la destinée
Rend notre vie ou triste ou fortunée.
Ô sort maudit! Mais c'est se torturer
40Que de pleurer!
Temps, de l'oubli loi qu'on nomme le père,
Ce que n'ont pu ni raison ni prière,
Calme mon deuil et chasse ma douleur
Loin de mon cœur.